France : Quand l’indignité s’abaisse à la confiscation des ballons des enfants

Le 8 novembre 2018, le journal d’investigation Mediapart révélait l’affaire des fichiers à caractère ethnique qui sévissaient au club du Paris Saint-Germain entre 2013 et 2018. En mettant notamment en avant le nom d’une figure de la nouvelle génération de talentueux footballeurs français évoluant avec les moins de 18 ans de l’équipe de France, qui avait été écarté du club du seul fait qu’il était noir, Mediapart a apporté une preuve déconcertante à l’encontre du club de la capitale.

Nous proposerons de revenir sur les antécédents éventuels de ce genre de pratiques en France, de jeter un œil sur les commentaires et condamnations de la classe politique sur ces affaires et de mettre en perspective la condition socio-économique d’origine de la plupart des enfants concernés.

Une suite pas si illogique

Avant la révélation de Médiapart en ce début de mois de novembre, une affaire des quotas avait déjà éclaté en avril 2011. L’un des acteurs impliqués était Laurent Blanc mais d’autres figures de l’encadrement national du football français tels que François Blaquart (ancien DTN(1), licencié après les évènements) et André Prévosto (ancien DG adjoint, également licencié) étaient également mouillés. Ce n’est donc pas étonnant que « les mêmes acteurs (spécifiquement Laurent Blanc qui a évolué au PSG de 2013 à 2016) produisent les mêmes effets ». Ce qui s’est produit au sein du club du Paris Saint-Germain n’était que la mise en pratique d’un processus de recrutement discriminant dont la plus haute instance du football français était secrètement à l’initiative. Et sans la divulgation de ce héros anonyme qu’est Monsieur Belkacemi la manœuvre aurait pris une toute autre ampleur et aurait continué sans que quiconque ne soupçonne quoi que ce soit. C’est donc une constante. Malgré la révélation de cette machination innommable de bassesse et d’indignité en 2011, un club s’est permis, le plus tranquillement du monde de poursuivre la mise en pratique de cette manigance détestable, qui base son fondement sur des prétextes tout droit issus des pires stigmates de la colonisation. Parmi ceux-ci, les personnages qui se sont rendus coupables de cette misérable manœuvre, ont émis comme arguments que le football français devait prendre une orientation vers « un jeu plus intellectuel ». Nous aurons donc cerné le sous-entendu, qui ne prend pas la peine de se voiler de honte, réduisant les joueurs noirs à leurs seuls attributs physiques de puissance. Pour aller jusqu’au bout de leur insinuation, les recruteurs pourraient donc faire l’économie de voyages dans les quatre coins de la France ou du monde pour inspecter de potentielles recrues, il suffirait de regarder leurs bulletins de notes ou les soumettre à des tests de QI orientés sur l’espace et la psychomotricité et en recueillir les résultats…

La question qui demeure sur ces affaires est comment la continuité et la persévérance de ces faits d’une extrême gravité a-t-elle été possible ?

L’indignation de complaisance et des sanctions qui se font attendre

« Selon que vous serez puissants ou misérables, les [considérations des leaders politiques] vous rendront blanc ou noir ». Cette affaire des quotas a suscité quelques manifestations offusquées de la part de certaines personnalités politiques. Toutefois, même si ces réactions ont pu sembler être pleines de bonnes intentions, elles ont été éloignées de la hauteur de l’enjeu et du préjudice. Notons notamment les interventions de la ministre des sports qui s’est dite « consternée » par l’affaire. Pour ce type d’actes, qui rentrent dans le champ d’action de la juridiction pénale (art. 225-1), nous nous serions attendus, soit de la ministre des sports, soit de la ministre de la justice à une « invitation » du PSG à répondre devant la justice de tels actes dont les sanctions vont jusqu’à 2 ans de prison maximum et/ou 30 000 € d’amendes pour les auteurs des faits. Il peut également être appliqué des peines complémentaires de types privation de droits, affichage de la décision, etc… Il est donc étonnant que des membres réputés compétents du gouvernement n’aient pas fait succéder l’indignation verbale à une assignation à la justice pénale. Toutefois, la société civile a su prendre le relais pour pallier ces scrupules de l’Etat. C’est ainsi que le collectif CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires) et la LDH(2) ont saisi la justice via un dépôt de plainte afin que le club de la capitale rende compte de ses actes devant la justice. Qu’est-ce qui explique cette relative complaisance des plus hautes sphères de l’Etat, qui ne peuvent ignorer que nous sommes en présence d’un préjudice qui mérite d’être conduit devant la juridiction pénale ? Souvenons-nous de M. Valls qui avait pris, quasiment de manière personnelle, la charge d’assurer l’interdiction du spectacle « Le Mur » de M. Dieudonné M’bala M’bala, parce que celui-ci constituait un « risque de troubles à l’ordre public » selon le Conseil d’Etat. L’intervention de M. Valls était motivée, selon ses dires, par le fait de « ne pas tolérer la haine de l’autre, le racisme, l’antisémitisme, le négationnisme ». Nous comprenons, dans le cas qui a concerné l’humoriste, qu’il s’agissait spécifiquement d’antisémitisme présumé et de négationnisme présumé. Sans aller jusqu’à la prise en main extrêmement personnelle de M. Valls, nous nous serions attendus, des personnalités publiques précédemment citées, à des condamnations avec une saisie de la justice. « Selon que vous serez puissants ou misérables, les [considérations des leaders politiques] vous rendront blanc ou noir ».

Que faire de ces « pauvres » enfants

La forte représentation de joueurs noirs et arabes en équipe de France ou dans les clubs français n’est autre que le reflet des disparités socio-économiques de la population et de la « ghettoïsation » des banlieues françaises. Il se trouve que, majoritairement, les seules infrastructures dont jouissent ces zones sont des terrains de football et de basketball. Ces sports sont donc ceux qui demeurent les plus accessibles pour les jeunes de banlieues défavorisées. D’autant qu’il n’est pas besoin de réaliser d’achats onéreux d’équipements particuliers. Par la force des choses, ou devrait-on dire par la force des probabilités agrémentée d’une concurrence accrue, les jeunes de ces quartiers se hissent en haut de la liste des meilleurs de leur sport. D’autres ont réussi à tirer leur épingle du jeu grâce au théâtre, la comédie ou encore l’audiovisuel bénéficiant d’une politique visionnaire, impulsée par André Malraux en 1959, qui visait à démocratiser la culture, à la rendre accessible au plus grand nombre, même si beaucoup reste encore à faire dans la réussite de la greffe de l’osmose entre les structures culturelles et les habitants des quartiers populaires. Des voies pour lesquelles le chemin souffre moins de confiscation que beaucoup d’autres parcours professionnels et qui offrent sur un plateau la possibilité aux gouvernants de brandir le prétexte du « biais du survivant »(3) pour faire perdurer un statu quo concernant ces zones. S’il existait davantage de mixité, y compris socio-économique, dans les quartiers de France, sans doute y aurait-il eu davantage de représentation de joueurs blancs en équipe nationale et spécifiquement dans les centres de formation du PSG. A qui donc la faute ? Pourquoi les jeunes noirs et arabes devraient-ils payer les déboires d’une politique d’urbanisation de l’Etat en mal de vision, de projection, d’équilibre socio-économique et de mixité sociale ?

En outre, la discrimination évidente des enfants noirs et arabes, cette polémique révèle par ricochet, un mépris insidieux pour les enfants que les auteurs des faits croient privilégier. Cette histoire laisse, en effet, prétendre que les jeunes blancs ont nécessairement besoin d’un coup de pouce frauduleux afin d’accéder au plus haut niveau de ce sport. Alors qu’aucune politique de discrimination positive n’a été mise en place pour favoriser les enfants noirs et arabes, ce qui aurait pu être une cause de la forte représentativité des noirs et arabes dans le milieu du football national. Mais il n’en est rien. La présence de joueurs noirs et arabes en équipe de France et au PSG n’a rien à voir d’autres qu’avec le talent de ces jeunes. Aucune raison ne saurait être recevable pour favoriser des enfants plus que d’autres s’il ne s’agit pas de considérations sportives. Toute faveur est un délit moral et une insulte envers ceux que l’on croit privilégier.

La question subsidiaire qui se pose en annexe de ce fâcheux épisode discriminatoire est : qu’est-ce que la FFF, le PSG et, dans une moindre mesure, les hautes instances politiques françaises attendent de ces gamins ? Les efforts qu’ils fournissent pour décoller de leur condition sociale souvent défavorable et orbiter au plus haut niveau, dans les clubs les plus compétitifs, ne suffisent pas ? La capacité de contribuer au rayonnement de la France avec le talent qui leur est propre n’est pas non plus à considérer ? L’irréprochabilité dont les membres de l’équipe de France, dont plusieurs évoluaient au PSG, ont fait preuve durant les deux dernières éditions de la coupe du monde, avec notamment leurs chants à gorge déployée de la marseillaise, est aussi à balayer ?

Rajouter de la discrimination alors qu’une discrimination structurelle s’est opérée au travers de la marginalisation des quartiers desquels beaucoup d’entre eux sont issus est d’une injustice quasiment criminelle. Il s’agit de replonger dans la mare des tares socio-économiques, des individus qui ont un espoir de réussir à sortir leur tête d’en dehors.

Ce qui s’est produit durant ces quelques années au Paris Saint-Germain, et ce qui a été tenté en équipe de France, est d’une rare gravité. En voulant « confisquer le ballon » des enfants noirs et arabes, les personnes impliquées se sont rendues indignes devant l’humanité en sacrifiant, au nom d’une idéologie nauséabonde, l’avenir de familles dont le football est devenu l’un des seuls espoirs de salut. Ceci pour en venir au point où le « serpent se mordrait la queue » : dans le cas où certains tomberaient dans la tentation des activités illicites, les condamnations unanimes viendraient s’abattre sur ces étoiles qui ont filé alors même qu’il leur a été interdit de briller.

 

Pat Elikya Delaverve

 

Sources & annotations :

  1. : Directeur Technique National
  2. : Ligue des Droits de l’Homme
  3. : Phénomène visant à retenir, de manière préférentielle, sur un ensemble de données, celles ayant un caractère d’exception plutôt que celles faisant partie de l’échantillon représentatif

https://www.lexpress.fr/actualite/sport/football/chronologie-du-quotasgate_989556.html

Pat Elikya Delaverve

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